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TROIS JOURS A BARCELONE (4)


Présentation : Gwen Le Tallec Auteur de romans jeunesse et de nouvelles

Site pro : http://www.gwen-le-tallec.fr/

Facebook(s) :

https://www.facebook.com/gwen.letallec & https://www.facebook.com/Gwenargan35/

Introduction :

EVENEMENT ! bfr le Mag' s'ouvre aux auteurs, et quels auteurs !

Gwen Le Tallec , que nous avions rencontré et interviewé il y a 6 mois

nous offre pour un RDV HEBDOMADAIRE sur bfr e Mag', la lecture de son dernier ROMAN !

Interview : https://youtu.be/4PvUEjfLcbA,

Chapitre 4 – La Boqueria

J’ai déposé mes affaires dans ma chambre.

Le personnel parle couramment français, c’était une de mes conditions pour son choix. J’ai environ quinze mètres carrés pour moi toute seule. Le lit est confortable, la décoration vieillotte, mais c’est propre. Je prends une douche bouillante en pleurant comme une madeleine.

C’est la première fois que je fais le choix de partir seule.

J’ai le sentiment d’être abandonnée.

Solal n’est pas là et je lui en veux à cet instant.

– Merde Solal ! Qu’est-ce que tu foutais à ce concert ? Christophe ! Qui connaît ce type aujourd’hui, à part des mecs comme toi et tes copains ? Résultat, tu crèves dans un lit d’hôpital à Saint-Malo. T’es content ? Connard !!!

Je viens de crier ça sous la douche… Personne ne m’entend… Je sais que c’est idiot,

mais cela me fait du bien d’exprimer ma colère. Je sors et je m’habille. Je sèche mes larmes.

Je décide d’aller flâner dans les rues animées de Barcelone.

Je prends une carte du centre-ville à disposition dans l’hôtel et m’engage directement sur l’avenue « La Rambla ». Je marche parmi la foule qui grouille. Un couple d’Anglais me demande de les prendre en photo. Ils s’embrassent. Je souris. Clic ! Ils sont ravis, me remercient. Le jeune homme me dit qu’il a demandé sa compagne en mariage hier au Parc Güell. Ils disparaissent dans la foule. Je reste plantée là. Une larme coule sur ma joue. Une femme s’approche de moi et me demande si je vais bien…

Enfin, j’imagine, car elle est barcelonaise. Je lui souris et passe mon chemin. J’arrive devant le marché de la Boqueria. Je lis l’enseigne accrochée aux halles.

– St Joseph, la Boqueria…

Je me faufile dans l’antre des vendeurs de légumes, de poissons, de viande, de fruits locaux.

Les gens parlent fort et je suis un peu abasourdie par le bruit. On respire la vie dans ce lieu, c’est incroyable !

Je déambule en admirant les produits. Je m’attarde devant un étal de fruits frais. Les couleurs explosent. J’ai envie de goûter à tout.

Le vendeur me regarde, amusé. Je lui achète une barquette de fraises que je déguste en poursuivant ma balade. Il est bientôt midi et j’ai faim !

Cela fait longtemps que je n’ai pas éprouvé cette sensation !

Depuis l’accident de Solal, je ne m’alimente plus que pour survivre… Je n’ai plus envie de rien… Je m’éteins peu à peu… Ce marché réveille mes sens et c’est merveilleux…

– Lilou ! Viens, on va se faire le marché des Lices ! Il fait super beau ce matin ! – J’ai envie de dormir, Solal… Tu n’as qu’à y aller tout seul…

Je mets les draps sur ma tête et je ferme les yeux, heureuse. Je me souviens, cela faisait deux semaines que nous étions ensemble.

Nous ne nous étions pas quittés depuis notre rencontre, excepté pour travailler.

Nous squattions chez l’un et chez l’autre.

C’était plus difficile chez lui car il vivait en colocation avec ses copains, mais cela faisait partie du charme du moment.

Nous étions à Rennes souvent le week-end.

Les gars mettaient un désordre ahurissant. Moi qui en avais horreur, je me contrôlais.

La semaine, je restais chez moi et c’est Solal qui venait le soir.

On vivait chaque jour à fond comme le dernier.

C’était trop beau pour que cela dure…

– Mets ta culotte, Lilou, ou je t’emmène à poil avec moi ! – Mais tu es un grand malade, Solal ! Laisse-moi tranquille ! C’est le week-end ! – Justement, ma chère ! Tu as, à cent mètres d’ici, le plus beau marché du monde ! Il serait dommage de louper ça, non ? Et puis j’ai envie de fruits de mer aujourd’hui ! Des huitres et des araignées pour ce midi, ça te dit ? – Arrête, tu vas me faire gerber, Solal…

Je plonge un peu plus au fond du lit. Soudain, je sens quelque chose me tirer le pied et je me retrouve complètement nue au milieu de la chambre. Solal me toise, un panier en osier sous le bras et des bottes en caoutchouc aux pieds.

– Tu viens, où j’te quitte !

J’éclate de rire et je lui balance un oreiller en pleine face.

On finit par faire l’amour tendrement. Quelques instants plus tard, je me lave et nous sortons enfin nous balader sur le marché des Lices.

Rennes est une ville chargée d’histoire.

Les maisons à colombages du centre-ville toutes penchées comme prêtes à s’écrouler sont super stylées ! Elles ont échappé à l’incendie de la ville qui s’est déclaré le 23 décembre 1720 et qui a duré six jours, m’a expliqué Solal.

Il est féru d’Histoire et il ne perd pas une occasion pour me faire une leçon !

Je rattrape mon retard.

J’ai tellement travaillé pour réussir mes examens quand j’étais étudiante que j’en ai oublié ce qu’était le plaisir de la connaissance, d’apprendre, de comprendre pour donner du sens à la vie…

– Tu m’emmerdes avec tes cours d’histoire, Solal ! – Quoi ? Tu n’aimes pas comprendre le Monde ? – Je veux que tu m’embrasses, que tu m’aimes, c’est tout !

Solal me regarde bizarrement comme s’il s’était trompé d’histoire. Je lui tire la langue. Il me prend dans ses bras au milieu de la foule.

Nous tournons et nous nous écroulons au pied d’un étalage de pommes de terre.

Tout le monde s’écarte, pensant à des jeunes dépravés, ivres.

Nous rions à gorge déployée !

Solal achète des huitres et une énorme araignée et nous nous installons à la terrasse d’un café qui borde le marché. Nous prenons un verre de vin blanc. Il fait un temps magnifique en ce jour de juillet.

Nous fermons les yeux et nous nous laissons envahir par cette douce chaleur qui nous réchauffe le visage.

– Et dire qu’il y a des gens qui disent qu’il fait mauvais en Bretagne, s’exclame Solal en savourant son vin blanc.

Solal aime la vie. Chaque instant est un délice. Il s’étonne, s’émerveille d’un rien.

Il est profondément optimiste, l’inverse de moi…

Ce matin, il me parlait d’un écureuil qu’il avait observé pendant une heure lors d’une balade en forêt, il y a un mois. Solal ne s’ennuie jamais. Il y a trop de choses à découvrir, à apprendre.

Il profite à fond du monde dans lequel il vit. Il fait la même chose avec moi.

Depuis deux semaines, il ne m’a jamais parlé d’autre chose que de moi, de lui ou de l’histoire de France. Ma vie d’avant, il s’en fout. Il ne sait pas si j’ai des parents, un frère, une sœur… Soudain Solal est devenu grave.

– Tu sais Lilou… – … – J’ai toujours eu l’impression que mon temps sur terre serait court… – Oui, comme nous tous ! – Non, c’est pas ça… J’ai l’impression que je ne vivrai pas vieux… – T’es sinistre là, Solal. – C’est pour cela que j’aime la vie… Elle est courte et il faut en profiter. Je ne comprends pas les gens qui, dès l’âge de 20 ans, préparent leur retraite ! Ils peuvent mourir demain, dans dix ans ! Ils n’auront profité de rien… C’est con. – L’espérance de vie aujourd’hui est quasiment de 80 ans en France ! C’est normal que les gens se projettent dans l’avenir. – Oui, c’est bien de se projeter dans l’avenir mais il faut vivre aussi chaque instant comme un don… – Un don de quoi ? Tu n’es pas athée ? – La représentation de Dieu peut être personnelle. Moi, je me suis façonné ma petite religion intérieure. –… – Quoi qu’il en soit, si je disparais un jour, je voudrais que tu poursuives ta vie comme aujourd’hui. Ne perds pas de temps, vis à fond ! – T’es malade, tu as un cancer ? – Non, mais si tu meurs, sache que je ne passerai pas une semaine avant de me retrouver une gonzesse ! – Salaud !!!

Il éclate de rire.

Je le regarde dans les yeux.

Ce jour-là, j’ai eu l’impression qu’il ne blaguait pas totalement… J’ai eu peur de le perdre un jour. Je l’aimais déjà comme une dingue. Je quitte le marché de la Boqueria, les yeux brillants, laissant s’évaporer ce souvenir.


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