TROIS JOURS A BARCELONE (14)

La Sagrada Familia

Albert a commandé trop de Tapas. Je suis à nouveau repue.

Nous discutons de Corentin, de Solal, puis Berthe me propose de les accompagner

pour une visite de la Sagrada Familia. J’accepte avec plaisir !

Ce monument était sur ma liste. J’adore faire des listes !

Des listes de courses, de choses à faire, de points forts et points faibles quand il faut prendre une décision. Cela me rassure, me structure !

Nous quittons le Parc Guëll. Albert se charge du taxi. Quinze minutes plus tard,

le chauffeur nous dépose devant la basilique.

C’est incroyable ! Je n’ai jamais vu une architecture comme cela ! Antoni Gaudi était un fou, c’est sûr !

Les grues qui cernent l’édifice lui donnent une allure futuriste.

– Sa construction a commencé en 1882. Elle n’est toujours pas terminée !

s’écrie Albert.

J’ai l’impression d’être face à un vaisseau spatial qui doit partir pour une planète

mystérieuse peuplée d’êtres étranges. Ses quatre lances pointées vers le ciel

annoncent un départ imminent vers les étoiles. Je suis impressionnée, silencieuse.

– Nous y allons, Lilou ?

– Oui, avec plaisir !

Nous entrons et immédiatement, nous sommes conquis par la majesté du lieu.

C’est le temple de la lumière. Elle s’infiltre par les multiples ouvertures réalisées.

Les vitraux font jaillir les couleurs jaune et bleu.

Elles explosent dans cet intérieur de pureté…

Je marche lentement en donnant le bras à Berthe. Nous sommes émerveillées.

Berthe a les larmes aux yeux. Elle sourit. Je m’imprègne de ce lieu sacré.

Cela me remplit. Je me sens apaisée…

Nous faisons le tour de la nef. Berthe s’approche d’un espace où des centaines de

bougies brûlent. Elle en prend une et verse deux euros dans un tronc.

Elle l’allume et se tourne vers moi.

– Vous en avez plus besoin que nous, Lilou… Tenez et priez pour Solal…

Je suis bouleversée… Ma main tremble, je me sens mal… Je m’écroule sur le sol froid…

Je reprends connaissance dans l’ambulance qui m’emmène à l’hôpital.

Je distingue des pompiers qui parlent très vite en espagnol.

Je ne comprends rien… Je tourne la tête et je vois Berthe.

Elle semble très inquiète.

– Lilou ! Comment allez-vous ? Vous m’avez fait une peur bleue !

– Je ne sais pas… J’ai mal au crâne…

– C’est normal ! Vous vous êtes cognée contre le sol de la basilique. Vous avez une

plaie à la tête mais le médecin a dit que c’était superficiel. Nous allons à l’hôpital

Sant Pau ! C’est un bâtiment magnifique ! On ne pouvait pas rêver mieux ! Enfin si jepuis dire !

– Cool… J’ai envie de vomir…

Berthe s’affole et appelle le pompier qui est à l’arrière. Il me donne une petite bassine

au cas où.

– Hughhhhhhhhhhhh

– Mon Dieu ! crie Berthe.

Je vomis partout. Dans la bassine, à côté, par terre, sur Berthe.

Je fais un nouveau malaise. Les voix s’éloignent. Je ferme les yeux… Je vois au loin,

Solal. J’ai envie de le rejoindre… Je me sens bien.

J’ouvre un œil. Je distingue une fenêtre.

Je vois le ciel. Il est bleu azur… magnifique.

Je tourne la tête et je distingue Berthe assise dans un fauteuil.

Elle ronfle. Je souris…

Je lève la tête et je fais le constat que je suis dans une chambre d’hôpital.

Je me souviens de la Sagrada Familia, du cierge puis de mon malaise.

Une infirmière entre dans la chambre sans frapper.

Berthe se réveille brusquement en poussant un cri.

L’infirmière s’excuse et s’approche de moi.

– Olà, señora. Com estàs aquest matí?

–…

Berthe explique à l’infirmière que je ne parle pas un mot d’espagnol et encore moins

de Catalan. Elles discutent pendant de longues minutes. L’infirmière finit par dire :

– Que está embarassada.

– Mon Dieu ! crie Berthe. Comment allez-vous ce matin ?

J’ai surement le cancer ou pire ! Je regarde Berthe implorante. Elle me regarde,

désespérée. Elle pleure… Je n’y tiens plus et je réussis à lui dire :

– Je vais mourir ! C’est ça ?

Berthe regarde l’infirmière interloquée puis s’approche de moi.

– Lilou… Il va falloir être très forte… Il va falloir vous préserver…

Me préserver ? C’est un peu pour ça que je suis venue à Barcelone !

Putain, j’ai chopé quoi ? Une maladie incurable ? A mon âge ! C’est con… Une tumeur au cerveau ! Cela expliquerait mes évanouissements !

J’ai trop regardé Grey’s Anatomy… Je flippe à mort.

– Quoi ?

– Lilou, tu es…

– Quoi ????

– Enceinte !

Je ne comprends pas. C’est quoi comme cancer « enceinte » ? Et puis lentement, je

comprends les mots de Berthe. Je panique.

– Enceinte ? C’est impossible ! J’ai rien senti !

– L’infirmière vient d’avoir les résultats. Elle est catégorique. Vous êtes enceinte de

quatre mois, Lilou…

–…

– Lilou, c’est certainement le traumatisme que vous avez subi. Vous n’avez pas

laissé votre corps vous dire qu’il y avait la vie en vous.

Je pleure comme une madeleine. Je ne savais pas que j’étais enceinte. Je ne

l’aurais jamais imaginé. Je prends la pilule depuis que je suis adolescente. C’est vrai que depuis que je suis avec Solal, j’ai tendance à l’oublier souvent mais de là à être enceinte !

Berthe, en larmes, me prends la main.

Machinalement je mets ma main sur mon ventre… J’ai un bébé dans le ventre… Un enfant de Solal… C’est incroyable… J’éclate de rire puis je pleure à nouveau. Je suis heureuse ! Tellement heureuse… Solal… Quand tu vas apprendre ça !

Tu as intérêt à ce que ton bouquin se vende car tu as des responsabilités maintenant…

Tu n’as plus le droit de mourir…

– Merci d’être avec moi, Berthe… Cela me fait du bien.

– J’ai toujours voulu être grand-mère, Lilou ! Je n’en suis pas très loin et c’est

tellement bon…

Je lui serre la main et nous restons un long moment silencieuses. Nous savourons

toutes les deux ce moment unique.