TROIS JOURS A BARCELONE (16)

Brocéliande

– Tu as pris tes chaussures de randonnée, Lilou ? – J’en ai pas ! J’ai jamais fait de sport ! J’ai des vieilles baskets ! Ça fera l’affaire ! – Ok ! Mais il faudra qu’on t’équipe la prochaine fois ! – Tu fais quoi dans la salle de bain ? – Je me masturbe ! – T’es con Solal ! Il revient dans le salon. – Je prenais la trousse de secours ! On ne sait jamais. – Ils arrivent quand, tes idiots de potes ? – Allez Lilou ! Ils sont désolés pour la dernière fois. En même temps, ils étaient chez eux et tu es entrée sans frapper ! – Deux malades, oui ! D’ailleurs je me demande si tu n’es pas comme eux finalement… On s’est trompé tous les deux, Solal ? – Non… Je t’aime Lilou… – Moi, aussi… Mais je te jure, c’est la dernière fois qu’ils me font un truc pareil ! Sinon, il te faudra choisir entre eux et moi !

La sonnette retentit !

– C’est eux ! – Sans blague…

Solal avait organisé une balade de réconciliation avec Max et Julien. Il avait prévu de nous amener dans la forêt de Brocéliande dans un coin appelé le Val sans retour. Sympa comme balade…

– Vous allez voir ! Je vous emmène dans un endroit magique ! Je vous ai concocté un petit itinéraire très sympathique ! Nous allons être au cœur des légendes de Brocéliande avec Merlin, La fée Morgane, la fée Viviane, Lancelot et… – Shrek ! s’exclame Julien en rigolant. – Pauvre idiot ! Vous êtes vraiment des incultes, les gars ! Hein, Lilou ? – C’est clair…

Je suis encore furieuse pour la dernière fois et j’ai du mal à me détendre. Nous avons dépassé Montfort-sur-Meu et nous filons vers Tréhorenteuc. Cela fait trente-cinq minutes que nous roulons quand la Clio de Solal donne des signes de faiblesse.

– Tu as mis de l’essence, Solal ? – Oui, j’ai fait le plein hier ! Je vais me garer pour regarder sous le capot. On est à cinq minutes de toute manière. – Cinq minutes de quoi ? Il n’y a rien dans ce coin ! lancé-je. – Du Val sans retour, bien sûr !

Solal met la tête dans le moteur et détecte une fuite sur une durite.

– C’est pas grave. Je vais faire une réparation de fortune et je la mettrai au garage quand nous rentrerons à Rennes. Je vous annonce officiellement que notre balade commence ici ! Prenez vos sacs à dos ! C’est parti !

Nous marchons une quinzaine de minutes et nous nous engouffrons dans la forêt. Nous croisons un magnifique arbre… L’arbre d’or. Il a été réalisé par un artiste suite à l’incendie qui a ravagé la forêt en 1990. Il a recouvert un châtaigner calciné à la feuille d’or. Il souhaitait souligner le caractère précieux et fragile de l’endroit. Je suis fascinée.

– C’est beau… – Oui… C’est l’entrée du Val sans retour. – Solal ? On ne capte pas ici ! – C’est la nature, Julien ! Profite, oublie le monde moderne et imprègne-toi du monde des légendes…

Julien et Max se regardent, déçus d’être coupés du monde contre leur gré. Nous poursuivons en grimpant un chemin de terre jusqu’à un plan d’eau.

– C’est féerique, cette lumière qui se reflète sur cette étendue d’eau…

L’étang est accolé à une falaise de roche rouge et noire. Un escalier permet de gravir les premiers mètres vers le sommet.

– Oui, tu as raison, Lilou… La légende dit que c’est le domaine de la fée Morgane, la sœur du Roi Arthur… Suite à une déception amoureuse, elle aurait jeté un sort à cette vallée pour punir les hommes infidèles. Ils resteraient prisonniers de ce lieu magique, enfermés dans la roche. – Tu n’as pas peur, mon amour ? – Pourquoi ? Je t’aime plus que tout ! – Ouuuais ! J’espère que tu le penses ! – Oh les gars ! Il y a une fourmilière ! – Et alors, Max ? – Ben rien… C’est génial, quoi ! – Tu as écouté mon histoire ou pas ? – Quoi ? Tu me parles, Solal ? –… – Laisse tomber Solal, tes potes sont vraiment à la masse… – Bon… Tu sais qu’ici est née également la légende du miroir aux fées. – Raconte ! – Les fées de Brocéliande se cachaient des hommes. Elles vivaient au fond des lacs et des étangs comme celui-ci. – Avec un masque et un tuba ?! – Ta gueule Julien ! Vous êtes vraiment lourds avec Max ! Je n’aurai pas dû vous inviter… – Je ne te le fais pas dire mon amour… – J’ai rien dit moi ! Je mate une fourmilière ! – Bon, ok ! Ne t’énerve pas, on déconne c’est tout… Moi, ça me fout la trouille cette forêt. Julien et Max nous rejoignent au bord du plan d’eau. – Un jour, la plus jeune des fées est tombée amoureuse d’un chevalier… Ses sœurs n’ont pas apprécié… Ce fut une lutte sanglante… La jeune fée est morte. La légende dit que son sang a coulé sur le sol de la forêt. Il lui a donné cette couleur pourpre caractéristique à cet endroit. – C’est triste… J’aime bien quand tu racontes des histoires… – J’adore quand tu m’écoutes, mon amour… – On vous dérange peut-être ?

Solal fait mine de donner un coup de poing à Julien. Nous escaladons les escaliers pour profiter du panorama. Nous arrivons en surplomb de l’étang dans un lieu féérique.

– Il est étrange ce rocher ! On dirait qu’il veut s’étirer vers le ciel ! – Tu as raison Lilou ! C’est Morgane qui a enfermé à jamais son amant infidèle. – C’est terrible ! – Oui… C’est Lancelot qui brisera ce sortilège. – Il devait être fort et beau… – Comme moi, mon amour ! – Je ne pense pas qu’il était frisé, Lancelot ! – Pourquoi pas ? – Je ne sais pas ! Ce n’est pas comme ça que je me l’imagine ! – Ben merci ! – J’rigole, Solal ! – Ouais, c’est ça…

Je m’esclaffe. Soudain, une vipère sort des buissons et rampe vers moi. Je ne la vois pas.

C’est Solal qui m’alerte.

– Lilou !!! Une vipère !

Je sursaute et je prends peur. Je ne vois pas le trou derrière moi. Solal court vers moi en criant. Je dérape et bascule dans le vide. Je plonge la tête la première dans l’étang…

– Lilou !!!!

Solal demande à ses amis de contacter les secours.

Il enlève ses chaussures et saute dans l’étang. Julien et Max dévalent la pente afin d’alerter les secours. Julien tourne la tête pour voir si Solal s’en sort. Il l’aperçoit à la surface sans connaissance.

– Max ! Préviens les secours ! Je vais donner un coup de main à Solal !

Max disparaît rapidement. Julien ne réfléchit pas. Il saute dans l’étang. Il arrive rapidement à hauteur de Solal. Il le ramène au bord de l’eau, inconscient. Je suis sous l’eau… Je n’ai pas peur… J’ai l’impression de pouvoir respirer.

Je suis bien. L’eau est trouble mais j’ai l’impression de voir une femme plus loin.

Une fée ! Elle s’approche. Je lui souris. Elle me tend la main. Je lui tends la mienne.

Soudain, je suis happée vers la surface par une force incroyable. Je pousse un cri ! J’ai besoin d’air, je suffoque, je tousse.

– Lilou, je suis là ! Tout va bien !

C’est Julien. Il vient de me sauver… Il me hisse sur la rive.

A côté, je vois Solal allongé, les yeux fermés… Je panique.

Julien lui donne les premiers secours. Il pratique un massage cardiaque et le bouche-à-bouche. Une minute après, Solal tousse et vomit de l’eau. Julien s’allonge sur le sol épuisé. J’arrive à tendre la main… Je touche celle de Solal… Il réagit faiblement… Les secours sont arrivés trente minutes plus tard. Ce jour-là, Julien et Max nous ont sauvé la vie… Dans l’ambulance qui nous conduisait tous les deux à l’hôpital, Solal a ouvert un œil et m’a regardé en souriant. Il m’a chuchoté :

– C’était chouette comme coin, hein ? J’ai serré sa main et je lui ai répondu : – Tu sais ? J’ai vu une fée ! Elle était très belle !