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TROIS JOURS A BARCELONE (20)


Chapitre 20 : Maman

Je ne connais pas mon père.

Maman m’a expliqué qu’elle l’avait rencontré un soir d’été en vacances quand elle avait 17 ans. Ils se sont aimés. Il avait 40 ans. Ses parents, en apprenant sa relation avec cet homme plus âgé, lui ont interdit de le

revoir. Elle est restée prostrée dans son lit pendant plusieurs jours. Quelques semaines après sa rentrée en terminale, elle a découvert qu’elle était enceinte.

Ses parents, horrifiés et submergés par la honte, ont déménagé en Bretagne. Ils

habitaient en région parisienne. Elle a accouché dans une clinique privée de Dinard.

Elle m’a attendue en passant son Baccalauréat. Elle a eu mention « Bien ». Le jour

des résultats, son père lui a donné une gifle qu’elle n’a jamais oubliée. Elle a quitté

ses parents peu après ma naissance. Je n’ai jamais connu mes grands-parents. La

seule chose que ma mère m’ait dite sur mon père, c’était qu’il était distingué et

charmant. A l’époque, il était célibataire et un peu aventurier. Il parcourait le monde

pour découvrir les gens, leur culture. Il était issu, semble-t-il, d’une famille aisée où

l’argent ne comptait pas. Ils ne se sont jamais revus, m’a confié maman. J’ai toujours

eu un doute car elle me dit cela en souriant.

Camille, ma maman, a renoncé à faire de grandes études alors qu’elle était brillante.

Elle adorait la philosophie ! Souvent, elle me disait :

– Mieux vaut changer ses désirs que l’ordre du Monde ! C’est une citation de

Descartes. Tu comprendras un jour Lilou !

Je comprends aujourd’hui et cela me fait souvent pleurer quand j’y repense… Oh,

elle en avait d’autres, des citations de ce genre ! Je les connaissais par cœur. Je les

replaçais en classe.

Le maître me regardait étrangement quand je lançais à la volée

à mes camarades :

« Certitude n’est pas vérité ! ».

Ma mère m’a élevée seule, sans l’aide de personne. Elle s’est débrouillée pour

m’offrir un toit et à manger, sans jamais se plaindre. Quand elle a quitté ses parents,

elle s’est installée dans une petite maison avec un minuscule jardin à Saint-Lunaire à

côté de Dinard.

J’adorais jouer sur ce carré de pelouse. J’imaginais que j’étais une grande star qui

habitait une villa au bord de la mer. Ma mère travaillait dans la restauration l’été et

faisait des ménages l’hiver. Quelquefois, elle gardait aussi des résidences

secondaires pour des Parisiens aisés. Je l’accompagnais pour visiter ces belles

demeures. Nous étions heureuses !

L’été, elle m’envoyait en colonie de vacances au château de Saint-Briac, juste à côté,

construit sur un bout de terre au-dessus de la mer. L’amour que m’a donné ma mère

m’a comblée. Je ne sais pas si la présence d’un père m’a manquée ? Peut-être un

peu… Antoine… mon père s’appelle Antoine… Je n’ai jamais cherché à le rencontrer.

Quand je pense à lui, j’imagine simplement une silhouette longiligne. Je ne vois pas

son visage.

Nous sommes fortes toutes les deux…

Quand je suis partie faire mes études supérieures à Rennes, maman a été très

affectée. On lui enlevait sa raison d’être. Je devais revenir tous les week-ends pour

la réconforter. Nous reprenions l’espace d’un court instant notre rythme d’avant. Elle

aimait ça et moi cela me rassurait… au début tout du moins. Elle pleurait à chaudes

larmes quand je repartais le dimanche soir en train. Elle me faisait des grands

signes sur le quai de la gare de Dinard. Heureusement que Léopold son frère aîné

nous accompagnait. Il la prenait ensuite dans ses bras. Elle s’effondrait et mettait

plusieurs heures à s’en remettre.

Maman m’appelle tous les jours au téléphone, encore aujourd’hui ! Au début cela

agaçait Solal. Et puis, ils se sont rencontrés et aimés. Ils ont une réelle complicité

tous les deux. Quand ils se voient, cela les apaise. Ils sont sereins, tranquilles.

Le jour du drame, maman était effondrée. Elle m’a rejointe le lendemain chez moi

pour me réconforter. Je suis redevenue une petite fille pendant quelques heures.

Cela m’a fait du bien.

Elle ne s’est jamais remariée… Aucun homme n’est venu s’installer à la maison. Oh !

Evidemment quelques-uns sont passés mais ils ne sont jamais restés. Je ne sais pas

si elle a aimé à nouveau ? Je ne le saurai sans doute jamais. Elle a vécu pour moi

toute sa vie.

Camille ne m’a pas empêchée de partir à Barcelone. Elle était très inquiète. Je lui ai

demandé de ne pas me téléphoner toutes les heures. Elle a accepté à contrecœur,

pour mon bien.

Avant de partir, elle m’a dit cette phrase un peu énigmatique :

– Nous veillerons sur toi Lilou… Je t’aime.

Je n’ai pas relevé. J’étais déjà ailleurs...

Au sujet de l'Auteur :

Gwen Le Tallec Auteur de romans jeunesse et de nouvelles

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