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TROIS JOURS A BARCELONE (22 & 23)


Port-Mer

Je pars en courant vers l’entrée du sentier côtier. Solal me poursuit. Il manque de tomber de la falaise. Nous décidons de ralentir le rythme. Nous passons par la plage de Port-Mer. Elle est quasiment déserte, à part quelques promeneurs. La mer est haute. Collés à la falaise, les restaurants se préparent à ouvrir pour le midi.

– On pourrait se manger des fruits de mer dans un de ces restos ? – Solal ! Il est 11h00 ! On vient à peine de partir en balade ! On verra quand on sera à Cancale ! Non ? – Ok… Bon eh bien moi je vais me baigner ! – Solal, nous n’avons pas pris nos maillots et nos serviettes ! – C’est pas grave ! C’est pas ça qui va m’arrêter ! Tu te souviens le jour de notre rencontre ? A ces mots, Solal enlève ses chaussures, son pantalon, son pull et… son slip ! – Solal ! Tu ne vas pas te baigner à poil quand même ? Il y a des gens ! Il me crie au loin : – Où ça ? Allez ! Viens !

Je me retourne et m’aperçois en effet que la plage est maintenant totalement vide. Je ne vais quand même pas me foutre à poil sur cette plage ! Je tergiverse. Et puis je me lance ! Je me déshabille. Je garde ma culotte et mon soutien-gorge... roses. Je cours jusqu’à la mer. Je crie ! Elle est glacée ! Solal nage déjà. Il se dirige vers un bateau au mouillage. J’ai de l’eau jusqu’à la taille. Je suis sur la pointe des pieds. Je fais une grimace de douleur. Je dois être horriblement moche !

– Solal ! Attends-moi !

Il ne m’entend pas. Il est arrivé au bateau. Il l’escalade. Je me lance enfin. Je pousse un cri effroyable.

– Ouahhhhhhh !

Je respire fort, frigorifiée. Je nage la brasse à toute allure en pestant. Je m’habitue peu à peu. Ma respiration se calme. J’arrive jusqu’au bateau. Solal m’aide à monter. Hors de l’eau, je frissonne immédiatement. Je veux repartir.

– Je rentre Solal ! Je caille ! – Regarde ! Des dauphins ! – Quoi ? – Des dauphins là-bas ! Ils sont deux, comme quand nous sommes revenus de Jersey, tu te rappelles ? C’est un signe ! Le symbole de notre amour.

Je m’approche et je découvre les deux ailerons qui fendent la mer.

– C’est magnifique… On voit le Mont Saint-Michel au loin…

Nous nous serrons devant le spectacle du premier matin du monde. Solal finit par me regarder. Il ne sourit plus. Il a un air soucieux.

– Quoi ? – Tu sais Lilou… Si je meurs un jour, j’aimerai que tu jettes mes cendres dans la Manche du haut d’une falaise. Je te laisse le choix de la falaise ! – Pourquoi tu me dis ça ? Cela devient récurrent ! – On se fait un selfie ma chérie ? – Avec quoi ?

A ces mots, Solal me pousse par-dessus bord. Je pousse un cri d’outre-tombe avant de plonger dans l’eau gelée. Solal plonge à son tour. Quand je remonte à la surface, il est devant moi avec son sourire charmeur.

– Je t’aime Lilou ! – Enfoiré !!! – Enchanté Madame, moi c’est Solal !

Je l’asperge. Nous faisons la course à la nage jusqu’à la plage.

Je gagne !

Il sort nu comme un ver et moi en sous-vêtements roses. Un couple de séniors passe devant nous en souriant. Le mari s’exclame.

– Tu as vu Odette ! C’est nous quand nous avions 20 ans ! – Oui, c’est vrai ! Mais tu avais moins de cheveux que le jeune homme !

Nous courons jusqu’à nos affaires. J’enlève avec dépit mes sous-vêtements trempés. Alors que je remets mon jean, Solal me bouscule et je m’affale comme une crêpe dans le sable. Je l’invective. Je lui envoie une poignée de sable dans la figure et le poursuis en criant sur la plage. Au bout de quelques instants, je m’arrête et je prends conscience de mon entière nudité. Au loin, le couple de vieux applaudit. Je rougis. Je récupère en quatrième vitesse mes vêtements en pestant contre le traître. Solal revient avec le sourire.

– Lilou ! Tu étais tellement belle à courir nue sur le sable ! Veux-tu m’épouser ? – Tu me l’as déjà demandé et j’ai dit « oui » ! – Ah bon ?

Je le regarde, énervée, et je m’esclaffe à mon tour. On finit par faire quelques selfies sur la plage pour immortaliser ce moment et on reprend notre balade vers Cancale.

– 23 – Armand

Je me suis baladée toute la journée dans les rues de Barcelone. J’ai découvert une place magnifique, la Plaça Del Rey. Je me suis installée à la terrasse du seul café à l’ombre d’un parasol. J’ai commandé une limonade et j’ai profité du lieu. J’ai été prise d’une subite envie de faire pipi et je me suis précipitée dans le bar qui indique sur une pancarte que l’on trouve ici les meilleurs Mojitos de Barcelone. Si c’est ça la grossesse ! Il va falloir que j’organise mes déplacements en repérant au préalable les toilettes des lieux ! La serveuse du bar m’a regardée passer avec le sourire, en m’indiquant la porte des toilettes.

J’ai rendez-vous avec Armand ce soir. J’ai hâte de le revoir. Il a été présent au début de mon voyage et symboliquement, il en ponctuera la fin. Je suis encore sous le choc du livre de Solal. Il parle d’un livre intitulé « Trois jours à Barcelone », l’histoire d’une jeune femme comme moi qui doit se reconstruire… C’est bizarre… Solal est tellement fantasque que je ne m’étonne plus de grand-chose avec lui mais là… Il est 19h30. Je prends mon avion demain à 10h30. Je savoure ces derniers instants. Il fait encore chaud à Barcelone. Je m’installe à la terrasse du café de ma première rencontre avec Armand. Par chance, la table que j’occupais le premier jour se libère. J’attends.

J’ai de la chance, toutes les terrasses de la Plaça Reial sont bondées. Les touristes en profitent jusqu’au dernier moment… comme moi. Je fais le bilan de mon séjour à Barcelone. Je suis arrivée seule et déprimée. J’ai visité une ville magnifique, j’ai repris goût à la vie. J’ai rencontré des gens merveilleux. Ils m’ont aidée à traverser mon chagrin. Je me suis souvenue de ma vie avec Solal : notre rencontre, ses potes, sa famille, nos disputes, nos joies, nos projets, nos désirs, sa demande en mariage, notre désir d’enfant… Cela m’a remplie de repenser positivement à tout cela. Solal ne le sait pas mais je suis enceinte. C’est un signe du destin. Il va se réveiller et nous allons reprendre le cours de notre vie, j’en suis sûre !

– Bonjour Lilou ! – Oh, bonjour Armand ! Installez-vous ! – Vous rêvassiez ? Vous êtes radieuse ! – Oui, merci Armand. J’ai appris une nouvelle incroyable, vous savez ! – Attendez, laissez-moi deviner ! Il s’agit de Solal ? Il va mieux ?

Mon sourire s’éteint brusquement.

– Oh, non ! Je suis désolé ! Je recommence. Vous avez rencontré votre meilleure amie ? – Non ! J’attends un bébé !!! Vous êtes le premier à le savoir !

Je me lève et lui montre mon ventre.

– Mon Dieu… – Vous n’avez pas l’air content, Armand ? – Oh, bien sûr que si, Lilou ! C’est tellement… incroyable, comme vous dites !!! Votre mère est au courant ? – Maman ? Non, pas encore… Pourquoi me parlez-vous de Maman ? – Je ne sais pas ! J’imagine que ce sont les mamans qui sont informées en premier dans ces moments-là. Je n’ai pas élevé d’enfants, vous savez. En tout cas, je vous félicite ! Nous allons fêter ça ! Garçon !

Le serveur arrive immédiatement.

– Olà, senior Antonio ! Què beus? – Dues copes de Xampiny ! – Quoi ? s’exclame Lilou. – Champagne ! – Pas pour moi Armand ! Je ne peux pas ! – C’est pas grave, je les boirai !

Nous rions franchement. Le serveur revient avec les deux coupes. Ils se connaissent bien apparemment. Soudain, je repense à un détail de leur conversation. Armand en profite pour trinquer avec moi et mon café fumant.

– Dites-moi Armand ? – Oui, Lilou. – Je ne suis pas experte en Catalan, mais il me semble que le serveur vous a appelé Antonio. – Ah bon ! Une erreur certainement ! Racontez-moi votre séjour, Lilou !

Je me lance dans le récit incroyable de mes trois jours à Barcelone. Armand me regarde comme au premier jour… fasciné. Soudain son attention est distraite par une personne qui marche sur la place. Il fait signe à cette femme qui doit avoir une soixante d’années et s’excuse. Il se lève pour aller à sa rencontre. Cela me permet de faire une pause et de profiter des bruits de la place. Les enfants qui courent, les gens qui parlent dans toutes les langues, au loin le trafic… Les odeurs de Barcelone sont particulières aussi. Elles me manqueront. Je me sens bien, je respire et… Mon Dieu ! Le bébé ! Il a bougé !

Je regarde au loin pour voir si Armand est là. Je le vois discuter avec cette femme sur la place. C’est magique. Je mets mes mains sur mon ventre pour ressentir à nouveau les mouvements du bébé. Il bouge à nouveau ! Un coup de pied sans doute ! Les larmes inondent mes yeux. Au milieu de ce tumulte, je savoure cet instant. Le téléphone d’Armand vibre sur la table de café. Il manque de tomber. Je le retiens et machinalement je regarde le numéro d’appel : Camille. Etonnant cette coïncidence. C’est le prénom de maman.

Je laisse sonner. Le téléphone se tait puis cela sonne à nouveau. Je me lève, le téléphone en main et je tente de faire signe à Armand mais il est de dos. Je regarde à nouveau le numéro d’appel. C’est cette Camille à nouveau. Je décide de décrocher pour avertir qu’Armand n’est pas disponible. Je fais glisser l’icône pour me mettre en communication.

– Allo ? –… – Allo ? Je suis une amie d’Armand. Il n’est pas disponible. –… – Allo ? – Lilou ? –… – Lilou, c’est toi ? – Maman ! – Lilou ! C’est toi ma chérie ? – Oui ! Mais comment… Soudain je repense au serveur, au prénom… Antonio… Antoine… Le prénom de mon père. – Lilou ! Tu es avec Antoine ? – Il s’est absenté… – Lilou, je suis désolée de te l’apprendre comme ça, mais Antoine est ton papa… –… – Lilou ? Tu es là ? – Oui, maman… – Antoine habite Barcelone depuis qu’il a perdu sa femme, Rose. J’ai toujours gardé contact avec lui. Sa situation de famille ne nous a jamais permis de nous revoir… Il s’est marié avec Rose peu de temps après notre rencontre. Il a toujours demandé de tes nouvelles. Il n’a jamais eu d’autre enfant que toi, Lilou…

Maman me parle et je regarde au loin Armand… Antoine… Mon père. Il tourne la tête comme s’il avait compris que quelque chose n’allait pas. Il me regarde. Je suis en larmes, le téléphone à l’oreille. Il interrompt sa conversation avec la femme de la place et se précipite vers notre table. Je me lève.

– Lilou ! Que se passe-t-il !

Je pleure. Antoine arrive à la table. Il n’ose pas me toucher.

– Lilou ! – C’est Maman au téléphone… – Pour Solal ? – Non… C’est ton téléphone… Antoine. – Mon Dieu !

Il me prend dans ses bras. Je m’effondre en larmes. Les hormones sans doute… Je viens juste de rencontrer mon père, pour la première fois, à 30 ans.

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