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3 JOURS A BARCELONE SUITE & FIN


– 26 – Le Départ

Antoine m’a laissée à la porte de l’hôtel vers minuit. Nous nous sommes promis de nous revoir bientôt. Je lui présenterai Solal. J’ai terminé la lecture de La plage noire des Cyclades. C’est un beau roman. Une histoire d’amour extraordinaire. La fin du livre est étrange… C’est du Solal tout craché.

Aurore et Argan se quittent après leur séjour à Santorin : sans dispute, en s’aimant comme des fous. Ils partent chacun de leur côté pour ne jamais oublier ces instants magiques, pour ne jamais les salir. Ils se retrouvent vingt ans après et poursuivent leur histoire d’amour. Ils se séparent à nouveau et se croisent à la fin de leur vie. Ils se sont toujours aimés.

C’est peut–être ça que Solal a tenté de me dire quand il m’a annoncé qu’il voulait partir seul. Il avait peur que notre amour se tarisse sous l’effet de la routine et du quotidien. Partir pour mieux revenir… Vivre intensément nos vies ensemble, se séparer, se retrouver, s’aimer à nouveau et repartir… C’est une vision de l’amour… Pas la mienne, mais je comprends mieux.

Cette philosophie de vie ne peut pas convenir s’il y a des enfants.

Je suis enceinte Solal… Nous sommes parents maintenant. Comment vas-tu réagir ?

Je me réveille tôt ce matin. Je dois prendre l’avion pour Rennes à 11h. Mon premier geste est pour mon bébé. Je pose mes mains sur mon ventre pour lui dire bonjour. Il me répond par un coup de pied. Je suis aux anges. Allongée sur le lit, je reste comme cela pendant de longues minutes. Soudain, mon téléphone sonne. Je décroche, c’est Berthe.

– Lilou ! Comment vas-tu ? Tu as vu ton ami hier soir ? – Oui ! Et tu sais quoi, Berthe ? – Non ! – C’est mon père ! – Qui ? – Je t’expliquerai ça quand on se verra à Saint Briac ! – J’espère que cela ira pour toi ma chérie… Tu nous manques déjà… Hein Albert ? J’entends au loin le grognement d’Albert. Cela me fait rigoler. – Je vous aime, Berthe. Vous faites partie de ma vie maintenant ! – Toi aussi, Lilou… Embrasse Solal de notre part. – Promis ! – Prends soin de toi et de ton bébé ! dit Berthe, des sanglots dans la voix.

J’ai les larmes aux yeux… Encore ces maudites hormones ! Je raccroche. Je me lève et prends une douche tiède qui me fait un bien fou. J’enfile une robe longue qui accentue mon ventre rond. Je fais ma valise et je demande à la réception de m’aider à la descendre. Je règle mon séjour. La réceptionniste appelle un taxi pour m’emmener à l’aéroport. Je lui réponds que je vais prendre le bus. Elle me dit que quelqu’un a déjà payé la course. Je lui demande quelle est cette personne. Elle me dit qu’il s’agit d’une dame accompagnée de son mari ronchon. Je souris et j’accepte le taxi. Je dépose une enveloppe sur le comptoir. Je demande à la réception de la faire livrer à l’adresse d’Antoine. Il s’agit du roman de Solal. J’ai glissé un petit mot à l’intérieur : « En souvenir de notre rencontre à Barcelone et des discussions sans fin et passionnantes que tu m’as offertes. » - Signé : Lilou, ta fille. Je décide de sortir sur le trottoir pour attendre et ressentir une dernière fois Barcelone. Soudain, j’ai le cœur qui explose. C’est Julien qui m’appelle. J’ai un pressentiment. Ma main tremble. Je prends mon téléphone.

– Allo Julien ! – Lilou ! – C’est Solal ! Julien pleure. Je ne comprends pas ses mots. La communication est mauvaise ; – Julien ! J’entends rien bordel !!! – Lilou, Solal est parti…

La communication est coupée. Je lâche mon téléphone. Je regarde autour de moi, les gens, les voitures, la ville, le ciel bleu. Ma vue se trouble avec la montée subite des larmes. Je pousse un cri effroyable. Les gens s’arrêtent net autour de moi. Le couple de Vitré qui prend le même avion s’approche pour me soutenir. Je vacille. Ils me font assoir par terre. Je n’entends plus rien. Je pose les mains sur mon ventre. Mon bébé bouge. J’ai des contractions. Je vois le jeune catalan d’hier passer en trottinette. Il en profite pour voler mon téléphone qui git au sol. Je perds connaissance. Quelques minutes plus tard…

– Mademoiselle ! Ça va ? J’émerge doucement. – Mon téléphone… – Mon mari a tenté de poursuivre le voleur mais il était trop rapide. Désolé. Vous êtes enceinte ? Vous souhaitez faire des examens à l’hôpital ? – Non, je dois rentrer en France… C’est important… – Souhaitez-vous que nous vous accompagnions ? Nous prenons le même avion, il me semble ? Mon mari, Marc, va vous aider. Je suis Mathilde. – Oui, merci…

J’avance comme un zombie…

– 27 – L’aéroport

Le couple de Vitréens m’a accompagnée et rassurée pendant tout le vol. Les turbulences ont été particulièrement fortes à l’approche de Rennes. J’ai écrasé les doigts de Mathilde. Marc s’est chargé de ma valise. Ils ont été adorables et patients. Nous avons discuté un peu mais je suis restée évasive sur les raisons de mon état. J’ai mis cela sur le dos de mon bébé et des hormones…

– Quand j’attendais Martine, j’étais dans le même état ! Hein Marc ? – Oui, oui ! – Vous verrez ! Vous vous habituerez, Lilou ! Le pire, c’est l’accouchement ! J’ai fait un baby blues ! – Ah bon ? C’est quoi, le baby blues ? – Après l’accouchement, vous déprimez. Vous ne vous sentez pas à la hauteur de la tâche. Vous êtes au fond du trou, quoi ! Mathilde me voit m’enfoncer dans mon siège en pleurant et s’excuse immédiatement. – Mais non ! Ne vous inquiétez pas ! C’est rare ! Vous ne l’aurez pas ! – Mathilde ! Rassure-la au lieu de l’inquiéter ! s’exclame Marc. – Oui, je sais ! Désolée mais quand je suis stressée, je parle trop… – Merci à vous… Sans vous je n’aurai pas pu prendre cet avion. – Nous allons bientôt accoucher… atterrir ! Pardonnez-moi !

Je suis prise d’un fou rire et cela détend immédiatement Mathilde.

– Vous savez Lilou… Nous avons deux enfants : Martine et Lina. Leur naissance, c’est la chose la plus incroyable et la plus intense que nous ayons vécue avec Marc. Je ne regrette rien… Les petits désagréments intestinaux, les privations parce que j’avais peur de choper la toxoplasmose ou la listéria, la douleur de l’accouchement pour Martine et le regret de n’avoir rien senti pour Lina, ma libido exacerbée face au blocage de Marc… Je ne regrette rien, car ce sont les plus beaux moments d’une vie, vous le découvrirez, Lilou. Je vous envie… Nous avons décidé de nous arrêter là et je me suis fait ligaturer les trompes… Cela a été un traumatisme pour moi… Pour Marc aussi… Cette opération raisonnable a définitivement mis fin à la possibilité de revivre ça… Profitez, Lilou ! – Merci Mathilde. C’est à la fois terrifiant et magnifique, ce que vous me dites. Je crois que j’aurai peur jusqu’au bout…

L’avion touche la piste. Je me crispe, il freine. Je m’accroche aux accoudoirs, il zigzague. Je ferme les yeux, il s’arrête enfin.

Marc récupère mon bagage dans l’aéroport. J’ai peur, je suis épuisée. Je les embrasse quand ils m’informent qu’ils doivent me quitter pour retrouver leur famille. Je les serre très fort et j’arrive à prononcer :

– Merci… – Bon courage, Lilou ! Vous aurez un beau bébé ! Votre mari sera fier de vous ! – Oui…

Je reste plantée au milieu de la salle. J’ai peur d’aller plus loin, de voir ma famille qui m’annoncera le décès de Solal. Je prends mon courage à deux mains et j’avance. Je passe la porte automatique… J’aperçois Julien, Max et ma mère. Ils me cherchent… La réalité me rattrape. J’étais bien à Barcelone… Maman me voit. Elle crie de joie ! Je ne bouge plus, je lâche ma valise. Je mets la main sur mon ventre. Elle court et se jette sur moi. J’arrive à prononcer :

– Il est mort Maman ? – Mort ? Bien sûr que non !

Julien et Max arrivent aussi. Ils m’expliquent que Solal est sorti de réanimation. Il est en salle de réveil.

– Mais… Au téléphone… Julien, tu m’as dit qu’il était parti ? – Parti en salle de réveil ! On a été coupé et je n’ai pas réussi à te recontacter ! Je suis désolé, si je n’ai pas été clair ! J’étais tellement heureux que j’en pleurais ! – On m’a volé mon téléphone… C’est con… J’ai cru… – Il est vivant, Lilou ! Il veut te voir ! C’est son amour pour toi qui l’a sauvé ! Il nous l’a dit.

Je pleure mais j’arrive à dire :

– Solal… Maman… J’attends un bébé.

Je les regarde se décomposer. Ils regardent mon ventre et découvrent ma grossesse. Maman crie tellement fort sa joie que les soldats français du plan Vigipirate nous demandent d’évacuer l’aéroport.

Epilogue

Nous arrivons à l’hôpital Broussais de Saint-Malo. Les évènements qui ont suivi l’accident me reviennent brutalement. J’ai envie de partir, de quitter ce lieu maudit… J’étais bien, à Barcelone. Je fais un effort pour entrer. Ma mère et mes amis m’accompagnent dans la joie. Ils me posent dix mille questions sur mon voyage, ma grossesse, mes rencontres. Je ne réponds pas, inquiète de revoir Solal. J’ai peur qu’il m’en veuille d’être partie.

J’ai peur qu’il ait changé… qu’il ne m’aime plus en découvrant mon ventre. J’exprime le souhait d’entrer seule dans la chambre. Maman, Julien et Max comprennent, évidemment, et me laisse franchir la porte de la chambre.

Je découvre Solal endormi. Je m’approche, je suis terrifiée. Mon cœur bat trop vite ! Je vais faire un malaise. Il tourne enfin la tête. Il met une seconde à comprendre que c’est moi. Son visage sombre s’éclaircit. Je lui souris. Il tente de se lever, mais peine perdue. Je lui tends immédiatement la main. Les larmes coulent sur mes joues. Je suis incapable de prononcer un mot ! Je suis nulle… Encore ces maudites hormones ! Solal parle d’une voix faible :

– Lilou… – Solal ! – Lilou ! – Oui, mon amour ! – Tu es belle… Je t’aime… J’ai fait un long voyage, tu sais ? – Oui, tu es revenu maintenant. J’ai besoin de toi. – Je t’avais dit que je souhaitais partir seul pour penser à mon prochain roman… C’est fait ! Je ne te quitterai plus. – T’es con ! Je serai morte si tu n’étais pas revenu, pauvre idiot ! – J’espère bien ! Viens plus près pour que je te regarde encore. – Solal… – Oui, mon amour. – J’ai quelque chose à te dire. – Tu t’es trouvé un autre mec à Barcelone ? – T’es toujours aussi dingue ! Non… – Dis-moi.

Je regarde mon ventre arrondi et dépose mes mains dessus. Solal regarde mon geste. Il ne comprend pas au début puis il relève la tête, les larmes aux yeux.

– Tu… Nous… Un bébé ? – Oui ! Tu te souviens de ta demande en mariage, du resto, de la Clio ? Voilà le résultat ! – Mon Dieu ! C’est formidable ! – T’es content ? – Content ? Je suis un survivant, je découvre que ma femme m’aime encore et en plus, qu’elle attend notre bébé !!! C’est magique ! J’attends avec impatience le prochain concert de Christophe ! Lilou ? – Oui ? – Je t’aime… Je vous aime… Toi et le bébé. C’est le plus beau cadeau que tu pouvais me faire. – Solal… – Oui. – J’ai rencontré mon père à Barcelone. – Tu déconnes ? Tu me fais marcher ! – C’est Antoine Courteline, le romancier. – Tu es aussi dingue que moi, mon amour !!! C’est pour ça qu’on s’aime ! – Je t’assure, c’est vrai… Je lui ai même laissé ton roman. –…

Juillet 2016… Il fait un temps magnifique.

Cela fait deux mois que je suis revenue de Barcelone. J’entre dans le cimetière des Ormeaux à Saint-Malo. La porte s’ouvre en grinçant. Je regarde autour de moi. Personne. J’avance dans les allées de graviers en regardant machinalement les noms des gens décédés. Je porte un bouquet de fleurs d’une main et l’autre soutient mon ventre qui grossit de jour en jour. Je suis essoufflée et je dois m’arrêter. Une vieille dame qui passe me demande si j’ai besoin d’aide. Je lui réponds que non en lui souriant. Je reprends mon chemin et j’arrive enfin devant la tombe. Une forte émotion me prend au cœur. Je m’assois sur la pierre tombale.

« Antoine Courteline Romancier 1946-2016 »

Soudain, j’entends derrière moi des pas. Je tourne la tête. C’est Solal. Il marche encore difficilement. Il s’aide d’une canne.

– Ça va, mon amour, je ne suis pas trop en retard ? – J’arrive à l’instant. – Pourquoi penses-tu qu’il nous a fait venir ici ? – Je ne sais pas mais nous allons le découvrir.

J’ouvre la grosse enveloppe. A l’intérieur il y a un livre et une carte postale de Barcelone avec une inscription au dos : « Pour Lilou et Solal. J’aurais souhaité vivre quelques mois supplémentaires pour mieux vous connaître tous les deux mais je pars soulagé… j’ai adoré le roman de Solal. Signé Antoine.» Je pleure en lisant ces mots. Solal me prend dans ses bras et nous découvrons le livre. C’est celui de Solal qui doit sortir demain, avec un mois de retard. L’éditeur souhaitait pour une obscure raison que la couverture du livre reste secrète.

Même Solal, trop content d’être édité n’a pas insisté.

Nous comprenons en regardant la couverture la raison de ce secret.

La plage noire des Cyclades Par Solal Marion Préface d’Antoine Courteline.

Solal est bouleversé. Il commence la lecture de la préface en sanglotant comme un enfant. Antoine, mon père, était malade depuis plusieurs mois. Ses jours étaient comptés quand je l’ai rencontré à Barcelone. C’est pour cela que je l’ai pris au début pour un vieillard. Il n’a rien dit mais il savait qu’il ne me reverrait pas. Il a mis ses dernières forces à régler ses affaires avec notamment le souhait d’être enterré à Saint-Malo pour être proche de moi, à lire le roman de Solal et à négocier l’écriture de sa préface avec son éditeur qui s’avère être le même que celui de Solal. Nous quittons le cimetière.

– Au revoir Papa…

Solal me prend dans ses bras et nous nous éloignons.

Nous avons fixé la date de notre mariage. Elle est prévue en août 2016. Julien et Max seront nos témoins. Le roman de Solal sera certainement la révélation littéraire de la rentrée. Il a commencé à réfléchir sur l’écriture de son prochain roman. Il s’intitulera Trois jours à Barcelone. Il racontera notre histoire. Nous partirons tous les trois en voyage de noces après la naissance d’Anna prévue fin octobre. Quelle destination ? Barcelone bien sûr !

Thorigné-Fouillard, septembre 2016.

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Au sujet de l'Auteur :

Gwen Le Tallec Auteur de romans jeunesse et de nouvelles

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