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TARAN by Gwen Le Tallec (Ch 2 & 3)


Je marche lentement sur le pont de Recouvrance. Il bruine en ce début de matinée…

Je remonte le col de mon bombardier. Je prends le temps de respirer, de sentir la ville qui s’éveille, d’imaginer au loin la mer s’agiter, vivre, gronder…

Je pleure sans m’en rendre compte. Une femme passe à côté de moi et semble attristée de me voir ainsi. Je lui souris. Elle tourne la tête en pressant le pas. Je balaie mes larmes d’un revers de manche. J’arrive devant le kebab de la rue de Siam qui s’est fait braquer hier. Le patron souhaite compléter sa déposition. Il aurait eu subitement le souvenir d’un détail important concernant l’homme qui lui a volé sa caisse.

– C’était un noir, commandant ! – Commissaire… Et comment ça vous est revenu ? – Ce matin en me réveillant ! J’en suis sûr ! – Je croyais qu’il avait une cagoule, des lunettes et des gants ? – Ben ouais ! – Et il était noir ? – Ouais ! Complètement noir !

Je suis circonspect…

– J’vous jure mon capitaine ! – Commissaire… –… – Ok, vous repasserez chez nous pour compléter votre déposition. – D’accord, chef ! – Une dernière chose. Qu’est-ce qui vous rend certain que c’était un noir ? – Son comportement, commissaire ! C’est mon frère qui me l’a dit ! C’était certainement un migrant ! – Ah bon… Il fait quoi votre frère ? – Il est au chômage ! Y’a plus de boulot pour nous en France ! On donne tout aux migrants, aux réfugiés, aux immigrés ! Elle a raison Marine ! – Hum… Vous êtes originaire d’où, au fait ? – Je suis d’origine tunisienne ! Mais je suis français, né en France. Mes parents sont arrivés dans les années 60 pour travailler ici. On est dans la restauration de père en fils ! Excepté mon frère, mais c’est un fainéant ! Moi, j’ai continué et je peux vous dire que ça marche bien ! Vous voulez goûter ?

Je pars sans lui répondre. La pluie tombe drue maintenant. La visibilité s’est réduite. Je poursuis mon chemin sans me presser. L’eau me lave de mon malheur… Cela m’apaise un peu, même si je suis mort…

Je suis mort depuis que Tifenn est partie. C’était il y a un an, le 2 mai 2015 sur une petite route de Bretagne. Elle était romancière. De Paris, elle se rendait au festival Etonnants Voyageurs pour présenter son dernier roman d’aventure. Au lieu de suivre la quatre-voies entre Rennes et Saint-Malo, elle a voulu prendre la route de la côte en passant par Cancale. Elle a perdu le contrôle dans un virage… Sa voiture a glissé, défoncé la glissière de sécurité et plongé dans la mer... La police n’a jamais retrouvé son corps. On n’explique pas l’accident. Un malaise, sans doute, ou une erreur d’inattention. On a retrouvé son téléphone portable dans la voiture. Elle l’aurait eu en main au moment de la perte de contrôle.

La disparition de Tifenn m’a détruit.

Nous habitions Paris intramuros dans un petit appartement rue Mouffetard.

Je travaillais au 36 Quai des Orfèvres dans la criminelle. J’étais plutôt un bon flic.

Nous avions le projet d’avoir un enfant. A 40 ans tous les deux, il était temps. Elle faisait la promotion de son dernier roman avant de se lancer dans cette aventure. Quelques jours avant sa disparition, Tifenn était stressée, renfermée, secrète… J’ai mis cela sur le compte de sa promo et puis… Il y a eu cet accident. Je n’ai jamais admis les conclusions de mes collègues. Un accident de la route… Un simple accident de la route.

Tifenn était une très bonne conductrice et jamais elle n’aurait répondu à un appel téléphonique en conduisant. Les factures de téléphone n’ont rien donné. Il s’agissait d’un numéro caché qui se répétait plusieurs fois par jour. Le numéro provenait d’un téléphone portable jetable et donc intraçable.

Pourquoi la police n’a pas retrouvé son corps ? Les vitres n’ont pas explosé pendant l’impact. Seule la vitre du conducteur était ouverte. Il pleuvait ce jour-là… Pourquoi était-elle ouverte ? Je ne sais pas mais j’ai toujours eu l’intuition qu’il y avait quelque chose de mystérieux dans sa mort… J’ai cherché.

Je suis allé sur les lieux du drame. Je me suis résigné… Momentanément en tout cas. Chercher me permet de rester en vie… J’ai demandé ma mutation pour tenter de survivre. J’ai demandé la Bretagne, ma direction m’a proposé le Service Régional de la Police Judiciaire de Brest. J’ai accepté. Cela fait cinq mois que j’habite au bout du monde… Il pleut de manière incessante sur Brest. Ce n’est pas une légende.

Jacques Prévert ne s’est pas trompé en écrivant son poème : Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là Et tu marchais souriante Épanouie ravie ruisselante Sous la pluie…

Je traverse la rue de Siam et me dirige vers l’avenue Jean Jaurès. Elle est déserte.

Le vent fait voler les sacs en plastique. Je m’arrête devant le Mac Do et prends un café à emporter. Je décide de remonter à pied jusqu’au commissariat rue Napoléon III à pied, histoire de passer le temps.

Depuis mon arrivée, il ne se passe pas grand-chose. J’ai choisi la Bretagne justement pour ça. Je bosse, je rentre chez moi, je regarde la télé, et je me couche. Voilà mon quotidien. Je suis loin de l’image du flic qui se saoule au whisky pour oublier sa peine, son désespoir. Je bois peu, excepté du bon vin et de la bière. Un clochard m’interpelle et me demande une cigarette. Je lui tends mon paquet, il en prend cinq. Mon regard devient subitement noir. Il a peur.

– T’es un flic ? – Ouais et alors ? – Ben… rien ! – Pourquoi tu ne dors pas dans un foyer ? – Ahahahahahah ! Un foyer ! Pour me faire défoncer le cul et me faire voler mes affaires ! Jamais ! Je dors sous un pont, pas loin d’ici. – Sous un pont… Cela fait cliché, non ? – Je suis au sec et je t’emmerde ! – T’as raison… Garde le paquet, j’essaye d’arrêter. – Merci…

Je m’éloigne.

– Hé ! T’es un vrai flic, alors ? – Non ! Un mort vivant ! – J’me disais bien ! T’avais pas une gueule de flic ! Salut l’ami ! Tu t’appelles comment ?

Sans me retourner, je lui fais un signe de la main et je murmure :

– Taran… Taran Courteline. – Comment ?

Je souris et poursuis mon chemin sous la pluie qui tout à coup s’abat violemment sur mes épaules voutées.

3

J’ai appris à aimer cette ville. Brest souffre, la précarité est présente à chaque coin de rue.

Les plus aisés habitent dans les communes du littoral et s’échappent de la métropole à la nuit tombée. Les habitations datent de l’après-guerre. Elles ont morflé depuis un demi-siècle.

Les pavillons ne ressemblent plus à rien et les collectifs semblent désaffectés.

Pourtant, ça bouge ces derniers temps. Il y a même un téléphérique qui est en cours de construction. Il reliera le Quartier des Capucins au centre-ville. La nuit, Brest se réveille pour lutter contre cette morosité. Rue de Siam, les bars crachent de la musique rythmée et font couler la bière à flots.

Je fréquente souvent ce coin. Cela me fait du bien. J’oublie un temps l’inacceptable, je rencontre mes amis de la nuit et le lendemain, je continue à vivre tant bien que mal. Je passe souvent devant le kebab qui a été braqué. C’est un lieu incontournable des fins de soirées. Les jeunes fêtards finissent leur nuit en mangeant un kebab après avoir bu plus que de raison.

Le type qui a braqué le fast food est certainement un paumé qui a voulu jouer au méchant avec une kalachnikov pour le crier ensuite dans son quartier. Quel courage ! Cent trois euros et vingt centimes… Il s’agit certainement d’un habitué qui n’a pas trouvé le moyen d’aller voir ailleurs… Tiens, si cela se trouve, c’est le frère… Je vais demander à ce qu’on vérifie son alibi, à cet idiot. Mon téléphone portable vibre dans ma poche. Je décroche.

– Oui ! – Commissaire ! La gendarmerie vient de nous filer une affaire. – Ah bon… De quoi s’agit-il, Costa ? – D’une femme retrouvée ce matin droguée à la pointe du Raz. Son mec, qui était a priori avec elle, est introuvable. – Ok, j’arrive dans dix minutes.

Je raccroche. Je veux prendre une cigarette mais j’ai filé mon paquet à ce SDF. J’entre dans le premier bureau de tabac. Je ressors en allumant ma Peter Stuyvesant. La pluie a cessé… Le capitaine Costa est d’origine corse. Il a commencé sa carrière à Calvi. Il a fait dix ans là-bas. Puis il a demandé sa mutation en Bretagne. On n’a jamais su quelles étaient les vraies raisons de son déracinement. Une histoire de femme, pensent certains. Cela fait quinze ans qu’il est dans le Finistère. C’est le plus ancien de l’équipe et le plus vieux, il a cinquante piges. Il connaît Brest comme sa poche. Dans le milieu de la Rousse (Police) on l’appelle le « Corse ». Ce n’est pas original mais cela lui va bien.

On a tout de suite accroché tous les deux. Ce grand roseau aux cheveux blancs, buriné par le soleil de l’île de beauté, avait entendu parler de moi. Il savait que j’étais un bon flic. De plus, mon parcours ressemblait au sien. Nous sommes deux âmes perdues. On se serre les coudes. Savériu Costa est un perfectionniste. Dans une enquête, il ne lâche rien. Souvent, c’est grâce à son travail qu’une affaire est résolue. Il attend la grande affaire ! Dès que les gendarmes nous confient un crime ou un délit grave, il jubile. Il s’agit ici d’une disparition supposée et d’une femme droguée… Rien d’intéressant à première vue mais cela va peut-être mettre un peu d’animation au SRPJ. Nous avons une mission générale de prévention de la criminalité organisée et de la délinquance spécialisée.

A Brest, le danger vient souvent de la mer. Brest est un port qui attire les trafiquants de drogues, d’armes et de produits illicites en tout genre. Il y a quelques quartiers chauds comme Kérousien, mais cela reste de la petite délinquance. Il faut rester vigilant mais depuis quelques mois c’est très calme et pour tout dire, on se fait chier... Alors, on prend tout ce qu’on peut se mettre sous la dent.

Quand j’arrive, Costa est au téléphone avec l’hôpital. Il vérifie que nous pouvons interroger la jeune femme de la pointe du Raz. Léa est sur internet pour vérifier dans la presse s’il n’y a pas déjà eu ce genre d’histoire dans le coin. Léa Martin complète l’équipe. C’est un jeune agent. Elle est très brillante. C’est notre spécialiste de l’information et des réseaux sociaux. Elle est capable de s’introduire dans n’importe quel compte Facebook ou Instagram pour pister les pédophiles, harceleurs et autres malfrats. Elle est incontournable dans notre équipe car Costa et moi, on est plutôt de la vieille école. Les réseaux sociaux ne sont jamais arrivés jusqu’à nous… Costa préfère les indics pour obtenir des informations, et moi je préfère que cela soit Léa qui s’occupe de cette partie du boulot.

Léa Martin est originaire de Rennes. Elle a passé les concours pour devenir flic, comme son père. A 23 ans, elle était en uniforme. Après deux ans au commissariat de Nantes comme simple flic, elle a été repérée pour ses aptitudes physiques et ses connaissances informatiques hors pair. Le SRPJ de Brest est son premier poste en tant qu’investigatrice en cybercriminalité et agent de terrain.

Léa est une jeune femme très jolie. Brune, taille fine, sportive, 1,70 m. Elle ne passe pas inaperçue. Dans le milieu de la Police, ce n’est pas un atout. Elle est souvent victime des remarques sexistes de ses collègues. Heureusement qu’elle a un caractère bien trempé pour envoyer balader tous ces machos. Il y a un an, elle a été gravement blessée lors d’une arrestation musclée en plein centre-ville de Brest. Elle s’est pris une balle dans le ventre, tirée par un forcené qui avait pris en otage une vendeuse de parfumerie.

Le type est sorti du magasin en canardant la rue avant d’être abattu par un tireur d’élite.

Léa a été touchée par une balle perdue. Elle est restée deux mois à l’hôpital.

Aujourd’hui elle n’a plus de séquelles, mais elle est restée marquée.

Taran l’a pris sous son aile depuis cette histoire. Il la protège, peut-être un peu trop.

Elle souhaiterait être plus souvent sur le terrain. Costa raccroche.

– On peut y aller commissaire ! – Doucement Costa… C’est quoi votre affaire ? – Il s’agit d’une jeune femme retrouvée sur un sentier de la pointe du Raz complétement shootée. A priori, le médecin que j’ai eu au téléphone, parle de GHB… – La drogue des violeurs… – Oui ! C’est pour ça que ses souvenirs sont brumeux. Mais les choses peuvent revenir par bribes. – Autre chose ? – Oui, elle était avec son mec et il a disparu. – Les gendarmes ont trouvé des indices à la pointe du Raz ? – Rien ! Par contre on a retrouvé la voiture du couple. Le gars reste introuvable. – Il s’est peut-être barré ! – Peu probable, ils fêtaient leur anniversaire de rencontre. C’est un romantique, commissaire. Je me retourne vers Léa. – D’autres informations, Léa ? – Non commissaire ! J’ai exploré la presse locale. Il n’y a pas de faits divers dans le coin ressemblant à notre histoire. J’ai regardé aussi leur compte Facebook. Ils n’ont rien protégé. Leurs photos sont accessibles à tous ! C’est désespérant… Ils dévoilent toute leur vie à des millions d’inconnus. Cela pourrait faciliter le travail de gens mal intentionnés. A priori, il s’agit de deux personnes sans histoire avec des familles présentes et aimantes, d’après les photos. – Ils font quoi comme boulot ? – Julie Bozec est institutrice à Douarnenez depuis deux ans. Etienne Mirsac est conducteur de travaux dans une entreprise de travaux publics à Camaret. – Ok, merci Léa. Tu continues tes recherches sur internet et tu essaies de contacter la famille du jeune homme. Il a peut-être pris contact. Costa et moi, on va interroger la fille. Costa me suit en souriant. – Pourquoi tu te marres ? – Je sens l’affaire de siècle ! – Tu me dis ça à chaque fois ! – Ah bon ? –….

Au sujet de l'Auteur :

Gwen Le Tallec Auteur de romans jeunesse et de nouvelles

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