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TARAN by Gwen Le TALLEC (Ch 14 & 15)


14

L’enquête piétine… Les analyses toxicologiques d’Hélène Guirriec n’ont pas fourni d’éléments supplémentaires et l’autopsie de Camille Lahouen a confirmé une mort le 2 juin 2016. Rien de neuf non plus sur les réseaux sociaux. Léa épluche tous les profils des amis Facebook des victimes. C’est un travail de titan. Elle tente d’identifier les profils espions ou suspects.

Costa est parti interroger la famille et les amis des victimes pour glaner quelques informations. Je suis crevé par cette journée… Il est 18h00 et je décide de rentrer chez moi pour réfléchir. Cette histoire de Rodolphe tourne dans ma tête sans cesse et j’ai hâte de composer ce numéro de téléphone. J’ai aussi envie de lire quelques lignes du roman de Tifenn, envie de me retrouver avec elle…

En passant devant le port, je constate que les dockers ont cessé leur grève. Des restes de pneus brûlés fument encore et des prospectus jonchent la route. Je gare ma DS devant ma maison jaune. Mes voisins doivent vraiment se dire que je suis un mec bizarre. Certain qu’un jour, la police sonnera à ma porte pour vérifier que je ne suis pas un psychopathe.

Il fait froid ce soir. J’ouvre rapidement la porte d’entrée et me réfugie dans mon salon. J’allume le feu dans la cheminée, j’ai un peu froid. A Brest, les saisons se confondent souvent. Toute l’année c’est un climat tempéré avec de la pluie et quelques éclaircies. Je m’y suis habitué au fil des mois et finalement j’apprécie. Le vent ici balaie tout et surtout les nuages. Le mauvais temps ne dure jamais longtemps. J’aime ce pays tourmenté. Il ressemble à ses habitants, renfermés et accueillants ; sombres et à la fois joyeux et festifs…

Je me verse un verre de Bordeaux et je m’assois devant l’ordinateur de Tifenn. J’ai récupéré le marque-page du livre de Victor Hugo et je m’apprête à faire le numéro. J’ai peur… J’ai peur de découvrir de mauvaises choses… Impossible ! Tifenn ne me cachait rien… Je compose le numéro.

– Allô ? – Allô… Rodolphe ? – Oui ! A qui ai-je l’honneur ? – Je suis un ami de Tifenn et… J’ai quelque chose pour vous… – Ah bon ? Vous êtes qui exactement ? – Pierre Moussard un ami d’enfance. Nous étions très complices. – C’est terrible ce qui est arrivé à Tifenn l’année dernière… C’était une grande romancière… Qu’avez-vous à me donner ? – Une lettre… – Une lettre ? Vous savez, je ne voyais plus Tifenn depuis quelques mois. Elle et son mari avaient décidé d’avoir un enfant et elle avait souhaité arrêter nos rendez-vous. Nous avions des projets, c’est dommage. Vous êtes au courant certainement ?

Je reçois un coup de poignard dans le cœur. Il m’est difficile de répondre.

– Oui… – Passez à la librairie me déposer cette lettre si vous le souhaitez. Merci à vous. Je dois raccrocher, j’ai des clients… – Heu… Vous me rappelez l’adresse ? – 13, rue des Manilles dans la ville close de Saint-Malo… Vous savez, monsieur ? –… – Je l’aimais, Tifenn… Au revoir !

Je lâche mon smartphone. Je tremble. Je regarde hagard le feu de cheminée. Je craque. Mon passé s’effondre. Ma vie s’écroule encore un peu plus… Je m’allonge sur le tapis, le regard dans le vide. Je souhaite mourir pour que tout s’arrête enfin… Je me lève. Je vais chercher mon révolver Sig Sauer dans son étui. Je reviens m’installer dans le canapé. Je bois une grande gorgée de Bordeaux. Je libère la sécurité de mon arme. Je colle le canon sous mon menton. Le feu crépite, la nuit est calme… Je ferme les yeux et je place mon index sur la détente… Je vais me tuer et tout ira mieux. Mon téléphone portable vibre dans mon bombardier. Je ne veux pas répondre. Mon index fait pression sur la détente. Dans une seconde tout sera fini… Mon téléphone fixe sonne à son tour. Soudain mon cerveau se remet en marche. Il y a un problème. Je veux savoir. Je dépose mon Sig Sauer sur la table du salon et me précipite pour décrocher le téléphone.

– Allo ? – Commissaire, c’est Léa ! Il y a un type qui agresse une fille dans votre quartier ! Elle vient d’appeler le 17 ! Elle s’est enfermée chez elle et l’agresseur tente de rentrer. – C’est où ? – 9, Chemin de la Grève à cinq minutes de chez vous ! – Bordel ! J’y vais !

Je prends mon révolver, renverse mon verre de Bordeaux sur le tapis et cours vers la porte d’entrée. Je sors dans la rue. La lune éclaire la nuit. Je me lance dans une course effrénée vers le Chemin de la Grève. Je connais cette rue car j’y ai visité une petite maison quand je suis arrivé à Brest. J’ai fait deux cents mètres, je suis déjà exténué. Le Bordeaux et le manque de sport ont raison de mon endurance passée. Je prends mes quarante piges en pleine gueule. Néanmoins, je tente de maintenir mon rythme en pensant à la pauvre fille qui est en danger. J’ai mal dans la poitrine, je vais crever bordel ! Je m’arrête deux secondes, je suis enfin dans la rue. Je regarde le numéro de la maison en face de moi. C’est le 1. La maison doit être à cent mètres au plus. Je reprends ma course, révolver en main. Le 3, 5, 7…

– Je crie « Police ! » pour gagner une seconde.

Un type déboule dans la rue. Il est habillé tout en noir, porte une cagoule et semble très athlétique. Il pique un sprint et me laisse sur place. Je crie :

– Police ! Arrêtez ou je tire !

Le gars file dans la nuit. Je tire un coup de sommation mais il ne s’arrête pas, au contraire. Il baisse la tête et disparaît dans la rue suivante. Je l’ai perdu… Je me précipite dans le jardinet de la maison de la femme agressée. Je découvre une arme déposée par terre.

– Mon Dieu !

C’est un harpon. Le filin qui relie la flèche au lanceur est coincé par la porte d’entrée. Je comprends immédiatement l’impensable. Je frappe et crie – « Police ! ». Rien ! Je décide d’enfoncer la porte. Au loin, j’entends les sirènes des véhicules de police hurler.

Je m’y reprends à trois fois avant de faire sauter le verrou. Heureusement qu’il ne s’agit pas d’une porte blindée. Quand elle cède, je suis emporté par mon élan et je m’affale dans l’entrée à côté d’une jeune femme qui semble inanimée. Je veux me relever. Je pose la main dans une mare de sang. Je m’approche et découvre la flèche du harpon qui lui transperce le flanc. Je vérifie qu’elle respire encore. Elle murmure :

– Il m’a tirée comme un poisson, le salaud…

Elle tente un sourire mais la douleur est plus forte. Je lui souris tristement et lui réponds :

– Ça va aller maintenant. Les secours arrivent.

Je prends mon portable pour appeler une ambulance. Elle est déjà sur la route. Les premières voitures de police stoppent devant la maison. Je sors pour leur demander de quadriller le quartier. Je suis sur le perron quand un policier me met en joue et me demande de lever les mains.

– Je suis le commissaire Taran Courteline ! – Je vous demande de lever les mains, monsieur !

Je m’exécute, je baisse les yeux et découvre que mon corps est maculé de sang. Un autre flic arrive et vomit sur les chaussures de son collègue en me regardant. Celui qui me tient dans son viseur semble extrêmement nerveux, prêt à me descendre au moindre geste. Je décide d’attendre. Costa déboule d’une seconde voiture de police et crie :

– Bordel, c’est le commissaire Courteline ! Bande d’idiots !

Il court vers moi et me demande comment je vais.

– Vous avez plein de sang sur vous commissaire… Que s’est-il passé ? – Je t’expliquerai ! Il faut boucler le quartier ! Notre tueur s’est échappé par là-bas. Il ne doit pas être bien loin ! Il faut le retrouver, je suis sûr que c’est notre homme !

Costa donne les ordres et une première voiture part à la chasse à l’homme. Nous nous approchons de la jeune femme. Elle respire difficilement. La flèche est encore plantée dans son corps. L’ambulance du SAMU arrive déjà et la prend en charge. Un médecin sectionne le filin pour la dégager. Il ne peut pas lui ôter du ventre la flèche de harpon. Les secouristes immobilisent la tige d’acier. Avant d’être évacuée vers l’hôpital, la jeune femme ouvre un œil et s’adresse à moi faiblement :

– Merci, bel étranger… Je suis sidéré par les réparties de cette femme qui va peut-être mourir. Je lui fais un signe de la main. La porte de l’ambulance se referme. Les sirènes se remettent à hurler… – Costa, on part en chasse… – Ok commissaire. Vous ne voulez pas vous changer avant ?

15

Nous montons dans une voiture banalisée. Je connais le quartier par cœur, j’espère avoir un avantage sur le fuyard. Cela fait vingt minutes qu’il s’est échappé et quinze minutes qu’une voiture de police le cherche. Il doit donc faire attention pour se sortir de ce guêpier. On passe deux minutes chez moi pour que je puisse changer de chemise et on repart.

– Costa, vous allez rouler doucement, phares éteints. Nous aurons peut-être une chance de le surprendre. – Ok commissaire. On va l’avoir ce salaud !

Nous descendons la rue Kerangall vers Océanopolis. Les autres voitures cernent les rues parallèles. Nous sommes en communication constante avec les collègues. Il est fort probable que notre gars se dirige vers le port de plaisance. Si j’ai raison, nous aurons une chance de le coincer car sa route sera barrée par la mer. Nous rejoignons la rue Alain Colas, nous faisons le tour du grand rond-point deux fois puis nous nous dirigeons vers la place de l’Atlantide.

– Du nouveau, voitures 1 et 2 ? – RAS, voiture 1. – Rien ! Voiture 2.

Nous avançons doucement vers la place quand soudain un homme cagoulé traverse la rue devant nous, à cent mètres.

– Costa ! Fonce ! C’est lui !

Costa se met en pleins phares pour tenter de l’éblouir. La voiture accélère brutalement et nos têtes partent en arrière. Costa fonce sur l’homme en noir. Il court vers le port. Nous le rattrapons.

– On va l’avoir commissaire !

Soudain l’homme se retourne et braque sur nous un revolver. Il tire trois coups sur notre voiture et fait exploser le radiateur. Une balle passe à un centimètre du crâne de Costa. Il freine brutalement pour ne pas s’exposer plus. L’homme prend la fuite. Je sors de la voiture et crie :

– Tu restes ici pour l’empêcher de passer et tu alertes les autres voitures ! – Commissaire !

Je suis déjà parti. En courant j’enlève mon bombardier qui me gêne. Il est à deux cents mètres. Il est là à portée. Bordel, si j’avais mes jambes de vingt ans ! Il se dirige vers les pontons du port de plaisance. Il est foutu ! Je suis derrière lui. Je maintiens l’écart qui nous sépare sans espoir de le rattraper. Le type est sportif et intelligent. J’ai l’impression qu’il ne panique pas et qu’il sait où il va. Soudain, une voiture venant de la droite le percute violemment. Il fait un bond de plusieurs mètres. En cinq secondes, je suis sur lui. Je le braque mais il a eu le temps de dégainer son arme et tire. Je me baisse pour éviter les projectiles. Il se relève en boitant légèrement et reprend sa course en laissant son pistolet au sol. Je demande aux jeunes gens de la voiture de ne pas bouger.

Je rengaine mon arme et reprends ma course. Je gagne du terrain. Il est blessé. Nous sommes à cent mètres des pontons. Je suis à vingt, dix mètres, cinq mètres. Il se retourne pour me faire face et se battre. Je ne m’arrête pas et lui fonce dessus. Je le plaque aux jambes. Nous tombons tous les deux au sol et roulons sur le bitume. Les coups pleuvent de part et d’autre. Je réussi à me relever. Je lui assène un crochet qui l’étourdit, mais aussitôt il me balance un coup de pied dans le ventre. Je crie comme un porc qu’on égorge. Il sort un couteau. Les choses se compliquent pour moi. Je n’ai jamais été un spécialiste des arts martiaux ou des techniques de combats au corps à corps. Par contre, il semble que notre homme le soit. J’évite un premier coup, je tente de sortir mon arme mais je reçois la crosse de son poignard en pleine tempe. Je titube avant de m’écrouler. Il va m’achever. Je n’ai pas peur, au contraire…

Je pense à Tifenn. Ma vision se trouble. Je le vois au-dessus de moi. J’ai mon arme dans la main mais je n’ai plus de force dans le bras. Il me donne un coup de pied qui fait voler mon Sig Sauer. Je le vois lever son bras sans vraiment distinguer le couteau. J’entends une détonation au loin. Son bras reste en l’air. Je le vois dans le brouillard s’échapper sur un ponton. Tout tourne autour de moi. Je tente de me relever mais peine perdue.

Costa arrive à ma hauteur et me dépasse en criant sur l’homme en noir. Il tire trois fois encore, puis repart. Il disparait dans la nuit. Le silence revient. Je suis allongé sur le sol incapable de me mettre debout. Je regarde les étoiles, la grande Ourse… C’est beau… Ma vision se brouille à nouveau. Je finis pas perdre connaissance en entendant Costa me demander si je suis blessé… Je souris… Je ne sens plus rien… Tifenn…

Au sujet de l'Auteur :

Gwen Le Tallec Auteur de romans et de nouvelles

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